Oloturé présente le destin embrasé de jeunes filles dans la quête de liberté économique, tend à être prise au piège au sein d’un système social précaire marqué par une institutionnalisation de la violence sous différents aspects tels que l’exploitation et le trafic sexuel.


Oloturé est une jeune journaliste nigériane infiltrée pour le compte du journal The Scoop, déterminée à exposer un réseau de trafic sexuel transfrontalier. Pour remonter la filière, elle se fait passer pour une travailleuse du sexe dans les rues de Lagos. Très vite, elle partage le quotidien de jeunes femmes exploitées dans des conditions abominables, logées dans des squats sordides sous l’emprise de proxénètes. Elle se lie notamment d’amitié avec Linda, une autre prostituée dont le rêve est de quitter le Nigéria pour rejoindre l’Europe perçue comme un eldorado salvateur. Linda rêve d’une vie meilleure, pour elle et pour sa famille, et prévoit de faire venir sa jeune sœur du village pour l’embarquer dans ce voyage périlleux. Mais ce périple, présenté comme un tremplin vers la liberté, vire au cauchemar. Linda y perdra la vie, violemment assassinée après avoir été surprise avec un téléphone, en totale infraction aux règles imposées par le réseau.
Derrière cette histoire tragique se cache une réalité bien plus large. Ce que le film met en lumière, c’est l’institutionnalisation sociale de la violence sexuelle à travers un système structuré, organisé, et lucratif. Un système où le corps des femmes devient une monnaie, un produit, un capital marchand qui sert à enrichir proxénètes, mafias, et même certaines institutions complices. Dans cette dynamique, les femmes sont d’abord déshumanisées : elles ne sont plus perçues comme des personnes, mais comme des sources de profit. Leur quête d’argent souvent la seule issue pour sortir d’une pauvreté systémique les rend vulnérables et manipulables. Chaque aspect de leur quotidien est monétisé : nourriture, logement, vêtements… tout est facturé, tout devient dette, tout devient pression.
Ce qui frappe dans ce système, c’est que la féminité elle-même est instrumentalisée. Elle ne représente plus un bien-être, une puissance intérieure ou un espace de construction de soi, mais devient un outil d’attractivité sexuelle, calibré pour plaire, séduire, vendre. Dans ce contexte, se montrer féminine ne signifie pas s’aimer ou se célébrer, mais optimiser son corps comme produit commercial, afin de répondre à une demande constante celle de clients prêts à payer plus pour des corps plus jeunes, plus « dociles », plus « exotiques ». Cette logique renforce un cercle vicieux : la féminité devient transactionnelle. Elle ne sert plus la femme elle-même, mais un système patriarcal et capitaliste qui exploite son corps pour en tirer profit. C’est là le paradoxe de ces femmes qui, en cherchant à s’émanciper, se retrouvent enfermées dans une nouvelle forme d’esclavage.
Cette violence ne fonctionne pas en marge de la société, elle est socialement normalisée. Elle est connue, tolérée, parfois même justifiée. La société dans son ensemble participe – consciemment ou non à cette acceptation. On détourne le regard, on se convainc que « c’est le prix à payer » pour sortir de la misère, pour réussir. Cette forme de prostitution, qui brasse des milliards chaque année dans le monde, n’est pas seulement un fait divers, c’est un phénomène structurel, politique, et profondément enraciné dans les dynamiques économiques globales. Elle montre que l’esclavage moderne existe bel et bien – seulement, il a changé de visage.
La question fondamentale devient alors : comment éveiller une féminité qui ne soit plus transactionnelle ? Comment réconcilier les femmes avec leur corps, non pas comme outil de survie ou de performance, mais comme espace d’ancrage, de liberté et de joie ? Et si la plus grande force des femmes résidait dans leur féminité ? Oui, mais comment croire en sa propre valeur quand chaque geste d’amour-propre a été conditionné à une forme d’oppression ou de marchandage ? Comment se reconstruire quand tout dans la société vous dit que votre corps ne vous appartient pas vraiment, qu’il doit d’abord servir quelqu’un d’autre ?
Repenser la féminité, c’est revendiquer une identité libérée des injonctions marchandes, c’est refuser de céder notre puissance à ceux qui n’en feront que profit. La prostitution nigériane n’est pas un choix libre : c’est un cri silencieux face à une société qui fait de la survie un luxe et du corps des femmes un commerce.
Le parcours tragique de Linda dans Oloturé n’est pas une simple fiction, mais le reflet brutal d’un système mondialisé qui instrumentalise le corps des femmes sous couvert de liberté économique. Cette illusion de choix, nourrie par la misère et l’espoir, révèle une société où la féminité est constamment déformée pour servir les intérêts d’un pouvoir masculinisé : une féminité utile, docile, consommable. Face à cela, repenser la féminité devient un acte politique. Non pas une féminité à vendre, mais une féminité à habiter. Une féminité qui ne cherche pas à plaire à l’œil dominateur, mais à se reconnecter au corps comme espace de dignité, de douceur, de force. Il ne s’agit pas de fuir la féminité parce qu’elle a été salie, mais de la revaloriser comme une puissance propre, capable de fissurer les systèmes de domination.
Revaloriser cette féminité, c’est ouvrir un champ d’action féministe trop souvent ignoré : celui qui affirme que la tendresse, le soin, la beauté intérieure ou l’intuition ne sont pas des faiblesses mais des résistances. C’est aussi affirmer que la libération des femmes ne passera pas uniquement par des outils forgés dans des logiques extérieurs, mais aussi par une redéfinition radicale de ce que signifie être femme, hors du regard marchand, hors des chaînes de la performance. Et si, au cœur de l’horreur, de l’humiliation et de l’exploitation, la vraie révolution commence par éveiller une féminité enfin rendue à soi-même ? Et si votre plus grande force résidait alors dans votre féminité ?


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