

Elle a couvert sa propre enquête afin de rétablir une vérité qu’on lui avait interdit de contester publiquement. Il s’agit du viol subi par la journaliste Shiori Ito, commis par un journaliste haut placé et proche du Premier Ministre. Dans le documentaire Black Box Diaries, elle retrace cette course vers la reconnaissance, capturant des moments de luttes, de doutes, de difficultés, mais aussi de grandes vulnérabilités. Shiori va décortiquer les briques institutionnelles d’un système qui tente de museler la contestation d’un viol, même jusqu’aux plus hautes autorités de l’État.
On ne lui a pas simplement refusé une enquête, on lui a refusé au départ le droit de porter plainte, le droit d’articuler et de formuler des mots pour dénoncer le viol auquel elle a été confrontée.
La justice ne lui a pas été ouverte en 2017, et ce, même après, avec l’intégration dans le système juridique japonais depuis 2023 du viol comme étant un rapport sexuel non consenti. Avant cette date, la notion de consentement était inexistante, reflétant le poids d’une vision sociétale où le viol n’était défini que par l’usage de la force physique et par “agression et intimidation”, accordant ainsi le terme de viol à des scénarios très spécifiques et limités, laissant la possibilité d’une interprétation extrêmement restreinte du texte juridique.
Cette définition est aussi le reflet d’une perception sociétale profondément ancrée, qui réduit le viol à un acte brutal, bestial, accompagné de signes clairs et insistants de frayeur, sans souligner le consentement. Hors de ces schémas, la violence, qui se manifeste parfois de manière plus subtile ou insidieuse, est ignorée, minimisée, et les cas où le viol a bien eu lieu mais ne correspond pas à cette image sont systématiquement écartés.
Le problème réside dans cette hiérarchisation des violences : si un acte ne semble pas brusque ou choquant selon l’imaginaire social collectif,qui lie souvent la violence à une échelle d’intensité. Ainsi le viol devient alors un terme trop fort pour être employé. Cette perception renforce l’idée que le violeur doit correspondre à un archétype précis, celui de l’homme effrayant, froid, viril et macho.
Certes, certains violeurs correspondent à ce type, mais cette vision unique limite la reconnaissance d’innombrables situations où le viol a bien eu lieu, invisibilisant ainsi des victimes et complexifiant la dénonciation. Le profil du violeur ne peut jamais être préétabli : il peut exister dans tous les types de dynamiques et cercles sociaux.
Dans l’histoire de Shiori Ito, il s’agit d’un homme ayant tout réussi, ayant étudié, ayant accès aux plus hautes sphères de la société japonaise, celui qui, aux yeux de tous, sait se tenir et entretient des rapports respectueux avec les femmes.
Son agresseur semble être l’homme qui n’utilise pas la violence comme arme, et pourtant c’est bien la fausse interprétation sociétale des violences qui donne l’impression que si une personne ne fait pas usage de violence manifeste, elle est dénuée de toute forme de violence.
Cette fausse perception s’ajoute à une culture japonaise historiquement nourrie d’attentes précises sur le comportement des hommes et des femmes dans l’espace public, où “savoir se tenir” devient pour la femme un impératif de survie sociale.
Face à ces dissuasions et tentatives de museler sa parole, Shiori Ito a dû non seulement échapper à un silence judiciaire forcé, mais aussi résister à une pression sociale qui aurait pu la conduire à un suicide sociale, la forçant une mise à l’écart jugée de tous pour avoir oser dénoncer.
La culture de la honte, au Japon, questionne la responsabilité que l’on incombe aux victimes, mais ce phénomène n’est pas isolé et se retrouve ailleurs, porté par des narratifs conservateurs qui protègent universellement les hommes tout en muselant la parole des femmes.
Dans ce contexte, les victimes sont souvent renvoyées à une responsabilité morale excessive, comme si leur dignité dépendait de leur capacité à “se tenir” voir excuser ce qu’elles ont subies et à se conformer à des normes sociales profondément patriarcales, plutôt qu’à la reconnaissance des violences subies et au devoir de justice.
Shiori, par le captation filmé de cette quête, nous montre avec une résilience distinguée que la force ne se crie pas : elle s’affirme. Elle a été heurtée dans son intimité, mais elle a refusé de se définir par cette violence. Elle a choisi de vivre en portant son histoire sans laisser celle-ci effacer son identité.
On la voit, dans certains extraits, droite et prête à parler, entourée d’une maquilleuse et d’une coiffeuse, afin d’exprimer son droit d’exister au-delà de cette histoire. Les petites boucles d’oreilles, la coiffure soigneusement lissée, le maquillage subtil, témoignent de son droit de contester ce qui lui est arrivé, sans nier ni mépriser la femme qu’elle est, mais en honorant son existence, et en affirmant cette volonté de s’aimer par des signes subtils mais bien présents. Sa féminité n’est pas performative, elle est résiliente.
Et si votre plus grande force résidait dans votre féminité ? Oui, même dans sa plus grande subtilité, car dans la féminité, il s’agit surtout de se voir et de ne pas s’oublier.


Laisser un commentaire