Les violences silencieuses de la justice : l’histoire de Thamila
Victime morte ou victime vivante, il n’y a pas de répit et pas de justice à proprement parler pour la majorité des femmes victimes de violences sexistes et sexuelles malgré le dépôt d’une plainte.


Thamila est une jeune femme à laquelle nous pouvons toutes nous identifier. Dans le court-métrage Sans Suite, elle se retrouve dans un centre d’hébergement dédié aux victimes de violences sexistes et sexuelles. Avec d’autres jeunes femmes, elles tentent de reprendre une vie normale, ou du moins ce que l’on peut appeler une vie normale, en partageant des moments simples, légers, entre filles : des virées shopping, des sorties en club, des soirées dans le centre où l’on rigole, où l’on respire.
Car il ne faut pas oublier qu’elles sont des femmes avant tout. Des femmes qui aiment rire, s’amuser, profiter de leur jeunesse, sans penser à la complexité et la cruauté du monde auquel elles ont été confrontées. Ces instants précieux leur permettent de se reconnecter à une part d’elles-mêmes, une part que les violences ont tenté d’arracher.
Ces moments de sororité construisent un lien fusionnel. Un espace sans jugement où chacune peut enfin être pleinement elle-même. Elles se redécouvrent entre elles, mais aussi pour elles-mêmes, en se centrant sur leur bien-être physique. Elles prennent soin d’elles, se réapproprient un corps et une identité qui ont été niés, invisibilisés par leurs agresseurs. Une identité dont elles ne savaient même plus si elle avait encore du sens.
Alors, ces femmes cherchent la justice. Mais cette justice cache surtout une volonté bien plus essentielle : retrouver ce que leurs agresseurs ont si méthodiquement voulu leur voler leur identité . La justice est censée être un processus réparateur. Un moyen par lequel la société reconnaît publiquement que ces femmes ont le droit d’exister pleinement, de dire non, d’être protégées. Un processus où le consentement, ou plutôt son absence, est reconnu, entendu, et condamné.
Mais comment ces femmes peuvent-elles vraiment embrasser ce chemin, quand le seul pouvoir concret qu’on leur propose n’aboutit à rien d’autre qu’à une ligne de plus dans les statistiques ? Une simple procédure, souvent froide, impersonnelle, appliquant la loi de manière rigide, sans humanité.
Car avant de pouvoir obtenir justice, ces femmes doivent passer devant plusieurs agents de l’autorité publique. Elles sont contraintes de raconter les faits encore et encore, à des individus dont elles connaissent à peine le nom. Elles doivent exposer l’un des plus grands effrois de leur intimité comme si elles racontaient une balade à vélo. Mais chaque mot prononcé pèse un souvenir si récalcitrant qu’il devient une brique de traumatisme. Chaque phrase est une douleur, une humiliation, une dissociation.
Et ce manque de reconnaissance, ce refus d’entendre, de croire, de comprendre… c’est comme recevoir une deuxième balle dans le cœur. Comme si la première n’avait pas suffi. Comme si l’on voulait s’assurer que l’âme quitte bien le corps, et que l’identité, cette identité si malmenée, finisse par disparaître elle aussi.
Le classement sans suite dans l’affaire de Thamila a eu cet effet : une deuxième balle tirée dans le cœur, pour s’assurer que la vie de l’hôte, Thamila, était bien en train de s’éteindre.
Alors Thamila, à qui le résultat arrache les derniers souffles de vie, décide de faire ce qu’elle pense être la seule issue : elle cesse de se battre pour que son âme survive, et choisit de la laisser partir. Elle se jette par la fenêtre de sa chambre, ne voyant plus dans cette existence une identité à reconstruire, mais un compte à rebours, enclenché par la deuxième balle celle du classement sans suite.
Thamila, comme tant d’autres femmes dans ce centre, a subit des violences auxquelles nous pouvons toutes faire face. Et le problème reste toujours le même : échapper à une violence ne signifie pas qu’on en est libérée. Pire encore, avoir vécu une violence n’empêche pas d’en subir d’autres, parfois simultanées, parfois en cascade.
Thamila a été victime de violences sexuelles, mais aussi d’une autre violence, plus sourde, plus institutionnelle, souvent ignorée : celle du système judiciaire. Une violence froide, qui décortique le traumatisme, non pas pour le réparer, mais pour mieux l’exposer. Une violence qui met à nu sans jamais proposer de soin, ni de réanimation identitaire. Une violence qui exige de ces femmes une force titanesque, simplement pour continuer à vivre.
Vous vous demandez peut-être alors : comment la féminité peut-elle être une force dans un tel contexte, surtout quand elle semble, au mieux, n’offrir que des moments de joie partielle, au pire, masquer la douleur et la rage intérieures ? Mais peut-être faut-il d’abord repenser ce que signifie la féminité. Longtemps perçue comme superficielle, on ne lui a accordé ni force, ni intelligence, ni potentiel d’émancipation. Pourtant, la féminité votre féminité peut et doit être repensée comme un moyen de tracer un chemin, non pas pour cacher les blessures, mais pour se reconstruire à partir d’elles.
Votre féminité peut devenir ce chemin identitaire qui vous rend à vous-mêmes. Elle peut être un moyen d’apprendre à vous aimer profondément, à vous estimer indépendamment des relations extérieures. Elle ne vous détourne pas de vos blessures, mais vous aide à les apprivoiser, à redevenir sujet de votre propre histoire.
Une féminité propre à chacune, qui soit un vecteur d’émancipation, de connaissance de soi, une manière d’exister sans attacher son identité au regard des autres. Une féminité comme moyen d’apprendre à définir sa valeur, non pas par les relations, mais par l’estime et l’amour de soi.
Quand la féminité devient cette quête identitaire, cette force douce mais déterminée qui nous pousse à nous aimer vraiment, alors oui on peut se demander : Et si notre plus grande force ne résiderait pas justement dans notre féminité ?


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