L’industrie de la mode a laissé s’infiltrer un réseau d’exploitation de jeunes filles provenant des pays d’Afrique de l’Est Soudan du Sud, Somalie sans défense en quête de survie après une existence marquée par les conséquences de la guerre et l’instabilité politique.


Dans ce reportage français sur le recrutement des mannequins dans des camps de réfugiés, on découvre l’histoire de milliers de jeunes femmes dont la taille élancée et la morphologie Grace Jones sont perçues comme leur seule étincelle d’espoir. La plupart de ces jeunes filles n’ont jamais connu une vie stable ni la possibilité de subvenir à leurs besoins. Elles voient alors dans le rêve de la Fashion Week, non pas simplement une possibilité, mais une chance inestimable de pouvoir enfin vivre et de s’occuper des leurs.
Mais la réalité est beaucoup plus cruelle. Le marché de la mode ne les accueille pas à bras ouverts, il les scrute, les analyse au scalpel pour savoir si elles sauront faire scintiller les vêtements de grands créateurs. Ce rêve commence par un repérage dans un contexte d’instabilité politique et de grande précarité financière. La plupart ont grandi, voire sont nées dans des camps de réfugiés tels que celui de Kakuma, au nord-ouest du Kenya. Elles viennent toutes de pays marqués par une famine importante et une insécurité politique chronique, ce qui les pousse à trouver refuge dans ces camps et à tenter d’y apprivoiser une paix nécessaire pour simplement embrasser la vie.
Elles ont soif d’un échappatoire et ce manque est précisément ce que perçoivent les recruteuses. Businesswomen du scoutisme, elles exploitent cette soif de vie en leur vendant les promesses d’une nouvelle existence : celle des projecteurs, des podiums, des flashs. Leur beauté serait admirée, leur silhouette monétisée, leur avenir réinventé. Pour ces jeunes filles qui n’ont connu que la survie, le rêve devient un chemin idéal, une sortie presque miraculeuse.
Mais cette quête d’un ailleurs nourrit une confiance aveugle. Ce rêve, parce qu’il est le seul qu’on leur propose, devient leur unique espoir. Alors, elles acceptent les conditions du recrutement avec la foi que ce nouveau départ leur permettra de donner un sens à leur vie et un avenir à leurs familles. Elles arrivent en Europe pour passer des castings, espérant que ces quinze premiers jours suffiront pour convaincre le milieu. Mais si, au terme de cette période, elles ne sont pas sélectionnées, elles doivent repartir. Et avec elles, c’est tout un rêve d’ascension sociale qui s’effondre, broyé par un marché de la mode aussi rude que cruel, où la compétition est bestiale et l’empathie inexistante.
La violence est double, elle est d’abord psychologique faire face à leurs propres échecs et déceptions favorisent leur idée qu’elles ne valent rien malgré cette morphologie Grace Jones. Elles ne peuvent pas cacher cette honte elles doivent la confronter dès leur retour ce qui rend ces jeunes filles émotionnellement déboussolés les conduisant même à tenter de s’ôter la vie. Afin de ne pas survivre avec en plus le traumatisme dû à l’échec qui ne leur a offert que un ascenseur émotionnel passant par la joie le rêve, la déception et la désillusion. Ces jeunes filles partent déjà avec une appréciation d’elles-mêmes quasi inexistante. La joie suscitée par ce rêve qu’on leur fait miroiter devient alors la seule forme de valorisation qu’elles aient jamais connue.
Et lorsqu’on leur arrache ce rêve, on les replonge brutalement dans une autre forme de violence : une violence économique. Elles se retrouvent endettées, contraintes de trouver un moyen rapide presque vital pour rembourser le coût de cette illusion.
Elles vivent dans un état de survie constant. C’est la seule constance qu’elles connaissent : une existence marquée par l’insécurité et l’instabilité. Ce contexte les fragilise profondément, en fait des proies faciles et des victimes silencieuses, toujours sur le fil, à la merci d’un monde qui ne leur laisse aucune chance de répit.
La cruauté de ce recrutement et le mépris de qui elles sont et de leurs dignités, nous montre à quel point les conséquences des conflits armés et instabilité politique rendent toujours les femmes automatiquement vulnérables. Ce qui les conditionnent à embrasser un cycle constant de réelle survie et ne jamais avoir la chance de connaître et découvrir qu’elles sont plus que cela. Plus que des réfugiés mais des femmes qui ont le droit de chercher la constance d’une vie stable. Vous allez alors me dire comment la féminité peut-elle arranger cela ? Repenser la féminité pour ces femmes est avant tout une question de perspective.
On ne leur a jamais dit que elles étaient des êtres à part entière au delà du statut de réfugiés pourtant elles le sont et embrasser et questionner comment leur féminité peut leur servir. C’est avant tout la possibilité de prendre pleine conscience de son existence ; redonner de la place à son être dans un monde où on oublie qu’elles ont le droit d’exister d’abord pour elles. La possibilité d’embrasser un chemin où elles décident de s’apprécier par des petits gestes quotidiens de bien-être nécessaire pour chaque être humain. Afin d’emprunter le chemin vers l’appréciation de soi.
Et si, finalement, la féminité n’était pas une faiblesse, mais un outil de réparation ? Une manière d’exister pleinement, de se réapproprier le regard porté sur soi, et de se relever non pas dans le silence, mais dans la conscience de sa valeur. Car il ne s’agit plus seulement de survivre dans un monde qui ne les voit pas. Il s’agit de se voir soi-même, enfin, et de se reconnaître comme sujet à part entière. Et si votre plus grande force résidait alors dans votre féminité ?


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