

Elles veulent une réparation après des années de silence face à une stérilisation imposée par le gouvernement du président Alberto Fujimori, destinée à réduire la pauvreté. Près de 300 000 femmes indigènes au Pérou ont souffert d’une des décisions politiques les plus violentes et réductrices à l’égard du corps féminin, de 1995 jusqu’au début des années 2000.
Toujours considérées comme marginalisées et parfois oubliées, ces femmes n’ont jamais eu de représentation politique pour contester ces stérilisations, mais surtout pour comprendre ce qui leur était fait. Elles ont été contraintes de signer des documents qu’elles ne comprenaient même pas, en raison de leur statut social, jugé facteur de pauvreté, et du taux de natalité de leurs communautés.
Derrière cette prétendue solution économique nationale se cache une déshumanisation profonde et une dépossession physique de leur identité, qui les marque au fer rouge et entraîne tout au long de leur vie des traumatismes psychologiques et des douleurs physiques constantes. Le répit est impossible, car il touche tous les aspects qui font d’elles des êtres humains et des femmes possédant leur corps.
On touche ici non seulement à une violation profonde des droits humains, mais à une stratégie politique où le corps de la femme est pensé comme un outil de régulation économique plutôt que comme une propriété personnelle.
L’absence de consentement est l’expression la plus flagrante de cette perception : dans la conscience sociale dominante, souvent même soutenue par ceux qui prennent des décisions pour le peuple, le corps féminin est détaché de l’identité de la femme, réduit à sa capacité de reproduction.
On choisit pour elles ce qui se passe dans leur corps, ignorant leur histoire et leur unicité. Ce reniement de l’identité personnelle est une autre forme de violence. Les traumatismes psychologiques impactent leur rapport au corps : il semble ne plus leur appartenir, alors qu’elles y habitent et ressentent la douleur physique suite à la section de leurs trompes de Fallope. Ce sentiment d’injustice silencieux, de vivre dans un corps dont les actes expriment une dépossession, est d’une violence inouïe.
Pourtant, elles continuent à lutter, malgré les beaux discours du gouvernement qui affirme ne pas pouvoir offrir une réparation individuelle raisonnable. Elles se soutiennent et expriment une sororité mêlée de résilience et de quête de dignité, qu’elles ne sont pas prêtes à négocier à n’importe quel prix.
Cette dépossession ne leur a pas seulement ôté le droit de choisir : elle a des conséquences sur leur vie quotidienne, entraînant violences physiques, psychologiques et économiques. Beaucoup souffrent au point de ne pas pouvoir maintenir un niveau de vie correct, notamment lorsqu’elles travaillent dans les champs, à cause des douleurs répétitives. Une décision pensée pour « éviter la pauvreté » a en réalité amplifié les difficultés et fragilisé leur santé.
Et pourtant, ces femmes ne cessent d’exprimer une résilience stupéfiante. On perçoit dans leurs gestes une volonté de croire en la vie malgré les périodes obscures qu’elles ont vécues. Des signes qui semblent anodins révèlent une soif de vivre : le soin qu’elles prennent à arborer des looks aux couleurs vives, l’attention portée à leurs coiffures, le port de petits bijoux, chapeaux, parfois un maquillage subtil.
Ces gestes peuvent paraître superficiels, mais ce sont des actes de foi et de réappropriation, parfois passifs, parfois actifs, de leur identité de femme. Prendre soin de soi, avoir des instants de micro-soins dans ces espaces marqués par la violence, n’est pas simplement superficiel : c’est une affirmation de soi silencieuse mais bien présente, une manière de chuchoter : « j’existe même si vous ne me l’accordez pas ».
Vous voyez des couleurs : en réalité, ce sont des manifestes d’espoir dans un monde qui n’a cessé de vouloir éteindre l’étincelle de foi qui grogne en elles.
Et si votre plus grande force résidait dans votre féminité ? Elles y puisent grandement, sans la nommer ainsi, car le monde a condamné la féminité à n’être que superficielle.







